Homme d’Église du diocèse d’Avignon, le chanoine Henry (ou Henri) George (1890-1976) a été majoral du Félibrige à partir de 1948.

À ceux qui s’étonnaient de le voir porter un vieux ceinturon militaire sur sa soutane, il expliquait en riant qu’il portait les symboles illustrant les trois facettes de son identité :

La soutani dóu prèire, La soutane du prêtre,
Lou centuroun dóu soudard, Le ceinturon du soldat,
La cigalo dóu Majourau. La cigale du Majoral.

La Soutane – Le Prêtre

Né à Marseille le 17 août 1890, d’une mère provençale et d’un père exilé d’Irlande, il devint malheureusement orphelin à 5 ans. Il fut élevé par ses grands-parents maternels à Vaison, dans le quartier populaire du Poids Public où son grand-père était menuisier-charpentier. Il se souvint toujours avec tendresse de de la petite maison ombragée d’une treille où il passa une enfance malgré tout heureuse.

Il dût quitter l’école à 15 ans pour gagner sa vie : son beau-frère, qui était établi comme ferblantier et chaudronnier, l’embaucha comme apprenti. Le ferblantier fabrique des outils ou ustensiles en fer-blanc, souvent ménagers (tels que les casseroles, bassines, assiettes, lanternes…). Ces objets sont en fer recouvert d’une fine couche d’étain pour les préserver de l’oxydation. Le jeune Henry travailla donc à la forge, activant les soufflets, tapant sur l’enclume et manipulant les fers rouges. Après quoi il devint « potard », préparateur de pharmacie – sous-payé par son employeur car il était dépourvu de diplômes.

Ces années de formation furent déterminantes : alors que sa vocation religieuse s’affermissait peu à peu, grandissait en lui, en même temps, le désir de se dévouer à ses semblables, et plus particulièrement aux travailleurs les plus pauvres et les plus démunis, qu’il côtoyait depuis l’enfance, dont il partageait les peines et les soucis :  précarité des ressources, accès contrarié à l’enseignement secondaire et supérieur, travail des enfants, pénibilité du travail manuel, mauvaise foi de certains employeurs, etc., et dont il pratiquait naturellement la langue, cette belle langue provençale dédaignée par les personnes les plus riches et les plus instruites, qui par snobisme affectaient de ne parler que français. 

Survint une interruption de 7 ans : 3 ans de service militaire plus 4 ans de guerre ! (Voir plus loin.) Mais ces années d’épreuve ne firent que le confirmer dans sa foi et dans sa volonté de se consacrer à son prochain.

Il entreprit de poursuivre des études complémentaires à l’École des vocations tardives de Nice. Les séminaires dits « de vocations tardives » accueillaient des adultes dont la vocation à la prêtrise s’était éveillée, et dont l’entrée au séminaire semblait difficile à cause de leur passé sans formation intellectuelle. Enfin, après encore 5 ans au séminaire d’Avignon, faisant preuve d’une détermination et d’une pugnacité peu communes, il parvint à mener à bon terme ce parcours légèrement atypique. 

Il fut ordonné prêtre le 29 juin 1925 à Avignon, après quoi il fut successivement vicaire à Pertuis (1925), à Valréas (1926), à Carpentras (1931), puis curé de Ménerbes (1932), et enfin (1944) de Châteauneuf-de-Gadagne – lieu de naissance du Félibrige – où il exerça son sacerdoce de longues années. Distingué du titre de chanoine honoraire en 1962, il fut honoré de la charge de chanoine titulaire en 1967 en devenant aumônier de l’Hospice Saint-Louis à Avignon.

Il se fit apprécier de tous par sa philosophie souriante et bienveillante et son dévouement jamais démenti envers les plus humbles : les petites gens des villages ruraux ou des quartiers populaires, les pauvres de l’hospice, les personnes âgées, les malades… Il a laissé le souvenir d’un homme bon et doux, aux goûts simples et paisibles : quand il ne se consacrait pas à la lecture, l’écriture ou la musique, son plus grand plaisir était de pêcher à la ligne dans la sorguette ou d’aller ramasser les champignons dans la garrigue. Estimé de tous pour sa vie sobre et active, il fut encore plus aimé qu’admiré.


Le Ceinturon – Le Brancardier de 1914-1918

Parmi ses écrits en langue française, citons : Quand ça bardait, ses souvenirs de la guerre de 1914-1918, qu’il a faite à 24 ans dans la 5° compagnie du 58° régiment d’infanterie d’Avignon, et qui l’a mené des tranchées de la Meuse à la campagne d’Orient. Comme beaucoup de prêtres et de séminaristes, il avait choisi d’être brancardier afin de sauver le maximum de vies. 

Opérant par équipe de deux, les brancardiers avaient pour mission de ramener aux camps les soldats blessés au combat. Mal considérés par l’armée car ils étaient non-combattants, ils furent cependant nombreux à tomber sous les balles ennemies en portant secours à leurs camarades blessés. 

Les archives historiques du diocèse d’Avignon, qui ont récupéré après sa mort ses archives personnelles, gardent de modestes mais émouvants témoignages (photo, images pieuses, prières dont le Billet du soldat) qu’il avait conservés comme souvenirs de ces années terribles. Il faisait partie de ces hommes qui ont su traverser l’enfer sans perdre leur bonté native ni leur foi en l’être humain.


La Cigale – Le Majoral du Félibrige

Enfant, le chanoine George avait fréquenté l’École des Frères de Vaison où on interdisait de « parler patois », ce qui valut maintes punitions… Heureusement, un nouveau directeur, Frère Thelvold, un Arlésien, leva cette interdiction et même encouragea chez ses élèves l’usage de la langue provençale, tant à l’oral qu’à l’écrit. Il invita même des Félibres à venir discuter avec eux. L’abbé George éprouva toujours de la reconnaissance envers celui qui avait su éveiller chez ses élèves l’estime et l’amour de la Provence et de sa langue.

Le chanoine George était épris de littérature, d’histoire mais aussi de musique : il a créé des compositions musicales très appréciées et écrit de nombreux ouvrages en français mais surtout en provençal. Sa langue est belle, mais sobre et solide, celle que parle le peuple.

La valeur littéraire et morale de son œuvre, ainsi que son engagement constant en faveur de la langue et de la culture provençale, le firent élire Majoral du Félibrige en 1948.

Le Félibrige (louFelibrige) est une association fondée par Frédéric Mistral avec six poètes de ses amis, dans le but de « protéger, maintenir et exalter la langue, la culture, la civilisation et l’identité des terres d’Oc »(dont la Provence).

Les cinquante « félibres majoraux » (felibre majourau) composent le consistoire qui est le gardien de la philosophie de l’association. Le capoulié qui préside le Félibrige est obligatoirement l’un d’eux.

Les majoraux sont élus à vie par cooptation. Ils sont détenteurs d’une cigale d’or, qui se transmet à leur mort comme un fauteuil d’académie. Chaque cigale porte un nom symbolique référent à une région, à une ville, à un fleuve ou à une valeur félibréenne, et qui lui a été attribué par son premier titulaire.

 

Cigale d’or des majoraux du Félibrige.
MuseonArlaten.
@ Yvette Auméran

Le majoral chanoine Henry George (lou Majourau canounge Enri George) avait choisi le pseudonyme littéraire de Felibre de l’Autar (Félibre de l’Autel).

Sa cigale était la Cigalo dóu Trelus o de Sant-Maime. Victor Lieutaud, le premier titulaire de cette cigale, l’avait nommée ainsi en 1876 d’après le nom du journal qu’il publiait : Lou Trelus de l’Aubo prouvènçalo (l’éclat de l’aube provençale), journal de l’école félibréenne qu’il avait fondée à Marseille, et d’après Saint-Maime, le village des Alpes de Haute-Provence où il avait ses attaches.

Le chanoine George Henry est décédé au bel âge de 86 ans. À sa demande, ses obsèques eurent lieu dans l’humble chapelle de l’hospice Saint-Louis dont il était l’aumônier. Tous ses amis – les pauvres de l’hospice et du quartier, les anciens combattants et les Félibres – l’accompagnèrent à sa dernière demeure, rendant ainsi hommage aux trois facettes de sa personnalité : le prêtre, le soldat et le Félibre.


Lieux et objets de mémoire

  • Le fonds Chanoine George de la Bibliothèque Maurice Agulhon

La Bibliothèque Maurice Agulhon d’Avignon Université (campus Hannah Arendt) a recueilli en don un fonds de 284 ouvrages, en français ou en langue d’oc, issus de la bibliothèque personnelle du chanoine. Vous y trouverez quelques-unes de ses principales œuvres, mais surtout des ouvrages offerts en hommage au majoral par ses amis et correspondants, et dont certains sont dédicacés. Il s’agit aussi bien d’études sur la littérature et la civilisation du Midi de la France, que d’œuvres littéraires (poésies, contes, romans, pièces de théâtre…) en provençal mistralien ou en d’autres variantes régionales de la langue d’oc (languedocien, catalan, auvergnat, limousin, gascon, niçard, etc.).

Signalés dans le catalogue informatisé de la Bibliothèque universitaire, ces ouvrages sont consultables sur place.

  • La Bibliothèque municipale Ceccano

Nombre d’ouvrages du chanoine George, en provençal et en français, se trouvent à la Bibliothèque Ceccano (Avignon), dans le fonds Provence accessible au niveau de l’espace Patrimoine. (Dans le catalogue, cherchez : Henri George, abbé Henri George et abbé Henry George.)

  • Les Archives du diocèse d’Avignon

Ses archives personnelles, recueillies à sa mort par des amis proches, la famille Feuillas, ont été reversées aux Archives historiques du Diocèse d’Avignon. L’abbé Bruno Gerthoux, archiviste diocésain, a d’ailleurs consacré un article de blog très éclairant à cette personnalité attachante : Il y a 100 ans dans le diocèse d’Avignon : juin 1916 : le brancardier George (consulté le 09/05/2022).

Pour consulter ses archives, cliquez ici.

  • L’Hospice Saint-Louis 

Le bâtiment de l’Hospice Saint-Louis dont il fut l’aumônier de 1967 à 1976 est en fait l’ancien noviciat des Jésuites, construit aux XVIIe et XVIIIe siècles par les grands architectes François de La Valfenière puis Jean Péru. Napoléon 1er en fit une succursale de l’hôtel des Invalides de Paris, Napoléon III le transforma en hospice civil.

Actuellement, l’aile Nord réhabilitée par Jean Nouvel est devenue un hôtel, le reste du bâtiment étant occupé par l’Institut supérieur des techniques du spectacle d’Avignon. On peut y voir expositions et spectacles dans le cadre du Festival d’Avignon

Pour en savoir plus, cliquez ici.

Bibliographie

FABRE Pierre. –Les Félibres majoraux de 1876 à 2006. – Aix-en-Provence : Felibrige, 2006, pp. 12, 18, 23 et 28.

FOURIÉ Jean. –Dictionnaire des auteurs de langue d’Oc : de 1800 à nos jours / Jean Fourié. – Paris : Les Amis de la langue d’Oc, 1994. – (Collection des Amis de la langue d’Oc), pp. 159-160.

IdRef -Identifiants et Référentiels pour l’enseignement supérieur et la recherche : George, Henry (1890-1976 ; abbé).

RIBIÈRE Marius. – LausdouCanoungeEnri George, FelibreMajourau: 1890-1976. – Avignoun : Jean Aubanel e Fiéu, 1978.

NB : Les deux photographies du chanoine Henry George proviennent des Archives du Diocèse d’Avignon.